Mes coups de cœur


Menu déroulant

13 juin 2014

Irrésistible attraction T.2 - Simone Elkeles (Extrait)

Extrait : Irrésistible attraction T.2
Simone Elkeles
Éditions La Martinière Jeunesse



Carlos

J'aimerais vivre ma vie comme je l'entends, mais je suis mexicain, et mi familia est toujours là pour me guider, quoi que je fasse, que ça me plaise ou non. Enfin, « guider », c'est rien de le dire. « Dicter ma conduite » plutôt.
Mi'amá ne m'a pas demandé si j'avais envie de quitter le Mexique et d'aller vivre avec mon frère Alex au Colorado pour y faire ma terminale. Elle a décidé de me renvoyer en Amériques « pour mon bien », selon sa formule. Comme le reste de mi familia l'a soutenue, l'affaire était réglée.
Croient-ils vraiment que de m'expédier aux US m'évitera de finir six pieds sous terre ou derrière les barreaux ? Depuis que je me suis fait vier de la raffinerie de sucre, il y a deux mois, j'ai vécu la vida loca. Il n'y a pas de raison que ça change.
Je jette un coup d'œil par le hublot. L'avion survole des pics enneigés. Les Rocheuses. Je suis loin d'Atencingo, ça c'est sûr... et je ne suis pas non plus dans la banlieue de Chicago, où j'ai grandi, jusqu'à ce que Mi'amá nous oblige à plier bagages pour déménager au Mexique. J'étais en seconde à l'époque.
À peine l'avion posé, les autres passagers se bousculent pour sortir. Je patiente un peu, le temps de me faire à la situation. Ça fait presque deux ans que je n'ai pas vu mon frère. Putain, je ne suis même pas sûr d'avoir envie de le revoir !
L'avion s'est presque vidé. Je ne peux plus me débiner. J'attrape mon sac à dos et je suis les flèches indiquant la livraison des bagages. Au moment de sortir du terminal, j'aperçois mon frangin, Alex, qui m'attend derrière la barrière. Je pensais ne pas le reconnaître ou avoir l'impression d'être face à un étranger, mais pas d'erreur possible. Son visage m'est aussi familier que le mien. J'éprouve une certaine satisfaction en constatant que je suis plus grand que lui maintenant, sachant que je n'ai plus rien à voir avec le gamin maigrichon qu'il a laissé derrière lui.
Ya estás en Colorado, me dit-il en me serrant dans ses bras.
Quand il me libère, je remarque des cicatrices à peine visibles au-dessus de ses sourcils, près de ses oreilles, qui n'étaient pas là la dernière fois qu'on s'est vus. Il fait plus vieux, mais il n'a plus ce regard défiant qu'il trimballait partout avec lui comme un bouclier. Ce bouclier, je crois que j'en ai hérité.
Gracias, je lui réponds sans enthousiasme.
Il sait qu eje suis là contre mon gré. L'oncle Julio ne m'a pas lâché d'une semelle tant que je n'étais pas monté dans l'avion. Il a menacé de rester à l'aéroport jusqu'à ce qu'il décolle. 
Tu sais encore parler anglais ? me demande Alex alors que nous nous dirigeons vers les tapis roulants.
Je lève les yeux au ciel.
On n'a habité au Mexique que deux ans, Alex. Mi'amá, Luis et moi, je devrais préciser. Et tu nous as laissé tomber.
Je ne vous ai pas laissés tomber. Je vais à l'université pour pouvoir faire quelque chose de productif de ma vie, tu devrais essayer un jour.
Non, merci. Mon existence improductive me convient très bien.
Dès que j'ai récupéré mon sac, je suis mon frère vers la sortie.
Pourquoi tu portes ce truc autour du cou ? me demande-t-il.
C'est un chapelet, je lui réponds en tripotant la croix en perles noires et blanches. Je suis devenu dévot depuis la dernière fois qu'on s'est vus.
Dévot, mon cul ! C'est le symbole d'un gang, je le sais. 
Il s'approche d'une BM argentée décapotable. Alex n'aurait jamais pu s'offrir une bagnole pareille. Il a dû l'emprunter à sa copine, Brittany.
Et alors ?
À Chicago, Alex faisait partie d'un gang. Mon papa aussi, avant lui. Que mon frère soit prêt à l'admettre ou pas, être un voyou s'inscrit dans mon héritage. J'ai essayé de vivre en respectant les règles. Je ne me suis jamais plaint quand je gagnais moisn de cinquante pesos en travaillant comme un chien après l'école. Quand on m'a foutu à la porte, j'ai rejoint les Guerreros del barrio, et là je me faisais plus de mille pesos par jour. C'était peut-être de l'argent sale, mais on avait de quoi manger au moins.
Tu n'as donc rien appris de tes erreurs ? demande Alex. 
Et merde ! Quand il était dans le Latino Blood à Chicago, je le vénérais !
Tu n'as pas envie de connaître la réponse.
Secouant la tête, frustré, il me prend mon sac des mains et le jette sur la banquette arrière. Qu'est-ce que ça change qu'il soit sorti des rangs du Latino Blood ? Ses tatouages, il les gardera jusqu'à la fin de ses jours. Qu'il le veuille ou non, il sera toujours associé au LB même s'il ne joue pas un rôle actif au sein du gang.
Je l'observe un long moment. Il a changé, ça c'est sûr. Je l'ai senti à la seconde où mon regard s'est posé sur lui. Il ressemble peut-être à Alex Fuentes, mais je vois bien qu'il a perdu son esprit combatif. Maintenant qu'il est à la fac, il croit pouvoir respecter la loi et contribuer à un monde meilleur. Comment a-t-il pu oublier qu'il n'y a pas si longtemps encore, on vivait dans la banlieue la plus pourrie de Chicago ? On aura beau s'échiner, un bidonville restera toujours un bidonville.
¿ Y mamá ? demande Alex.
— Elle va bien.
— Luis ?
Bien aussi. Notre petit frère est presque aussi futé que toi, Alex. Il s'imagine qu'il va devenir astronaute, comme José Hernández.
 Alex hoche la tête. On dira un papa tout fier, et je me rends compte qu'il pense vraiment que Luis réalisera son rêve. Ils délirent tous les deux... Mes frangins sont des rêveurs. Alex s'imagine qu'il va sauver le monde en inventant des médicaments, et Luis qu'il quittera un jour cette planète pour aller en explorer d'autres.
Alors qu'on s'engage sur l'autoroute, un mur de montagnes se dresse sous mes yeux, au loin. Ça me rappelle un peu les reliefs accidentés du Mexique.
— C'est le Front Range, m'explique Alex. L'université est au pied de ces montagnes. (Il pointe le doigt vers la gauche.) Ça, ce sont les Flatirons. Les roches sont plates comme des planches à repasser. Je t'y emmènerai un jour. Brit et moi, on va se balader là-bas quand on en a marre du campus.
Il me jette un coup d'œil en biais. Je suis en train de le mater comme s'il avait deux têtes. 
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Il plaisante ou quoi ? ¿ Me está tomando los pelos ?
— Je me demande juste qui tu es et ce que tu as fait de mon frangin. Alex était un rebelle, et toi tu me causes de montagnes, de planches à repasser et de promenades avec ta petite amie.
— Tu préférerais que je te parle de se saouler la gueule et de fumer de la dope ?
— Et comment ! je riposte, feignant l'enthousiasme. Ensuite, tu m'expliqueras où je peux faire tout ça. Je sens que je ne vais pas tenir le coup longtemps sans m'injecter une substance illégale quelconque dans l'organisme.
Je mens. Mi'amá lui a sûrement dit qu'elle me soupçonnait de me droguer. Autant jouer le jeu.
— Bien sûr... Garde tes conneries pour mamá, Carlos. Je n'y crois pas plus que toi.
Je pose les pieds sur le tableau de bord.
— Tu ne sais pas de quoi tu parle. 
Alex déloge brutalement mes pieds.
— Tu peux éviter, s'il te plaît ? C'est la voiture de Brittany.
— Tu es atteint grave, mec ! Quand vas-tu te décider a larguer cette gringa pour mener une vie d'étudiant normale en te tapant un tas de gonzesse ?
— Brittany et moi, on est fidèles.
— Pourquoi ?
— C'est ce qu'on appelle une relation.
— Une panocha, tu veux dire ! Ce n'est pas normal de fréquenter une seule fille, Alex. Moi, je suis libre et j'ai bien l'intention de le rester à jamais.
— Que les choses soient claires entre nous, monsieur Libre. Je t'interdis formellement de sauter qui que ce soit chez moi.
C'est peut-être mon frère aîné, mais notre père est mort et enterré depuis longtemps. Je n'ai rien à faire de ses règlements à la con. Je n'en ai pas besoin. Il est temps que j'en établisse quelques-uns de mon cru.
— Juste pour que les choses soient claires entre nous, j'ai l'intention de faire exactement ce que je veux tant que je suis ici.
— Rends-nous service à tous les deux. Écoute-moi un peu. Tu apprendras peut-être quelque chose.
Je ricane. Ben voyons ! Qu'est-ce qu'il pourrait bien m'apprendre ? À remplir des demandes d'inscription à la fac ? À faire des expériences en chimie thermique ? Je suis bien déterminé à couper à l'un et à l'autre.   
[...]


Vous pouvez trouver ce livre en vente dans toutes les librairies.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Exprimez-vous !! =D

Ma Présentation