Extrait : Divergente T.3
Veronica Roth
Éditions Nathan
Chapitre un
Tris
Ses
paroles résonnes dans ma tête tandis que j'arpente ma cellule au siège des
Érudits : « Je m'appelle désormais Edith Prior. Et il y a beaucoup de
choses que je serai heureuse d'oublier. »
—
Et tu es sûre que tu ne l'as jamais vue ? Même en photo ? me demande Christina.
Sa
jambe blessée est posée sur un oreiller. Elle a reçu une balle lors du coup de
force qui nous a permis de diffuser publiquement la vidéo d'Edith Prior. Nous
n'avions pas la moindre idée de ce qu'elle contenait, ni qu'elle allait saper
les fondations sur lesquelles reposaient nos vies, à savoir les factions, nos
identités.
—
C'est peut-être une de tes grands-mères ? Une tante ? Un truc comme ça ?
—
Puisque je te dis que non, répliqué-je. Prior est — était — le nom de mon père
; elle serait forcément de sa famille. Mais à ma connaissance, c'était tous des
Érudits. Et Edith est un prénom altruiste. Alors...
—
Alors ça doit être plus ancien que ça, suggère Cara.
À
cet instant, c'est fou ce qu'elle ressemble à son frère. Will, mon ami. Celui
que j'ai tué. Puis elle se redresse et le fantôme de Will s'évanouit.
—
Il faut sûrement remonter à plusieurs générations. Ce serait une de tes
ancêtres, quoi.
«
Ancêtre ». Me mot m'évoque quelque chose de décrépit, comme de la brique qui
s'effrite. Je pose ma main sur le mur de la cellule. Il est froid.
Mon
ancêtre... Et voilà l'héritage qu'elle m'a transmis : la liberté de vivre en
dehors des factions. La découverte que mon identité de Divergente est plus
importante que je n'aurais jamais pu l'imaginer. Le fait même que j'existe est
un signal. Nous devons quitter cette ville et aller offrir notre aide à ceux
qui vivent à l'extérieur.
—
Je veux savoir, reprend Cara en passant la main sur le visage. J'ai besoin de
savoir depuis combien de temps on est là ! Tu peux arrêter de tourner en rond
une minute ?
Je
m'immobilise au milieu de la cellule et je la regarde, un peu surprise par le
ton de sa voix.
—
Excuse-moi, marmonne-t-elle.
—
C'est bon, intervient Christina. Je ne sais pas depuis quand on est enfermées
ici, mais ça fait bien trop longtemps.
Il
s'est écoulé plusieurs jours depuis qu'Evelyn a maîtrisé le chaos qui régnait
dans le hall du siège des Érudits et fait enfermer tous les prisonniers dans
des cellules au deuxième étage. Une sans-faction est venue soigner nos
blessures et nous distribuer des antalgiques, et on s'est nourries et douchées
plusieurs fois. Mais j'ai eu beau questionner nos gardiens, impossible de
savoir ce qui se passe dehors.
—
J'étais sure que Tobias viendrait me voir, dis-je en m'asseyant au bord de mon
lit. Qu'est-ce qu'il fabrique ?
—
Peut-être qu'il t'en veut encore de lui avoir menti et d'avoir coopéré avec son
père, suggère Cara.
Je
la foudroie du regard.
—
Quatre n'est pas aussi mesquin, objecte Christina, soit pour la remettre à sa
place, soit pour me rassurer. Il doit se passer un truc qui l'empêche de venir.
Il t'a bien dit de lui faire confiance, non ?
Dans
la confusion, alors que tout le monde criait et que les sans-faction essayaient
de nous pousser vers les escaliers, je me suis agrippée à lui pour que nous ne
soyons pas séparés. Il m'a simplement dit : « Fais-moi confiance. Fais ce
qu'ils te disent. »
—
J'essaie, assuré-je à Christina.
Et
c'est vrai. Mais chaque nerf, chaque fibre de mon être réclame de sortir non seulement
de cette cellule, mais de la prison que représente la ville qui l'entoure.
J'ai
besoin de savoir ce qu'il y a de l'autre côté de la Clôture.
Chapitre
deux
Tobias
Je
ne peux pas traverser ces couloirs sans repenser aux jours que j'ai passés prisonnier
ici, pieds nus, assailli par la douleur au moindre mouvement. Et ce souvenir
est indissociablement lié à l'attente du moment où Béatrice Prior devrait
mourir, à mes coups de poing désespérés contre la porte, à l'image de Tris
inerte dans les bras de Peter, avant qu'il ne dise qu'elle était simplement
droguée.
Je
hais cet endroit.
Il
n'est plus si impressionnant depuis la bataille ; il y a des impacts de balles
dans les murs et des débris de verre un peu partout. Le sol est crasseux et
l'éclairage vacillant. On me laisse entrer dans la cellule sans me poser de
questions, parce que je porte le brassard noir marqué d'un cercle blanc des
sans-faction, mais aussi parce que les traits d'Evelyn se retrouvent sur mon
visage. Le nom de Tobias Eaton, jusqu'ici entaché par la honte, est désormais
doté d'un grand pouvoir.
Tris,
épaule contre épaule avec Christina, est accroupie sur le sol de la cellule en
face de Cara. Mais alros qu'elle devrait me paraître pâle et frêle — ce qu'elle
est -, elle me semble occuper toute la place.
Ses
yeux s'écarquillent à mon entrée et déjà elle se serre contre moi, les bras
autour de ma taille, le visage contre ma poitrine.
Je
presse son épaule en lui caressant les cheveux et, une fois de plus, je suis
surpris quand mes mains rencontrent sa nuque. J'étais content quand elle s'est
coupé les cheveux, parce que cette nouvelle coupe était celle d'une guerrière
et que c'était précisément ce dont elle avait besoin.
—
Comment as-tu réussi à entrer ? me demande-t-elle de sa voix douce et claire.
—
Je suis Tobias Eaton.
Ça
la fait rire.
—
Pardon. J'oublie toujours.
Elle
s'écarte de moi, jusque assez pour pouvoir me regarder. Il y a quelque chose
d'incertain dans ses yeux, comme un tas de feuilles que le vent peut éparpiller
d'un instant à l'autre.
—
Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tu n'es pas venu plus tôt ?
Son
ton est presque implorant. Quels que soient les souvenirs horrible que cet
endroit m'évoque, il en est encore plus chargé pour elle : sa marche vers son
exécution, la trahison de son frère, le sérum de simulation des Érudits. Il
faut que je la sorte de là.
Cara
lève les yeux, curieuse d'entendre ce que je vais répondre.
—
Evelyn va imposer un couvre-feu. Personne ne pourra plus faire un pas sans sa
bénédiction. Il y a quelques jours, elle a tenu un grand discours sur la
nécessité de s'unir contre nos oppresseurs du dehors.
—
Nos oppresseurs ? répète Christina, surprise.
Elle
sort de sa poche un flacon dont elle avale le contenu. Sûrement un antidouleur.
—
Ma mère — et elle est loin d'être la seule — estime que ce serait une erreur de
sortir de la ville pour aller aider des gens qui nous y ont fourrés rien que
pour pouvoir se servir de nous plus tard. Elle veut qu'on garde notre énergie
pour remettre la ville en état et régler nos problèmes, au lieu de s'occuper de
ceux des autres. Je la cite, bien sûr. Je crois surtout que ça l'arrange, parce
que tant qu'on restera tous à l'intérieur de la Clôture, elle conservera le
pouvoir. À la minute où on sortira, ce sera fini pour elle.
—
Super, commente Tris, les yeux au ciel. C'est bien son genre, de faire le choix
le plus égoïste.
—
En même temps, elle n'a pas entièrement tort, intervient Christina en faisant
rouler le flacon vide entre ses doigts. Je ne dis pas que je n'ai pas envie de
sortir de la ville pour savoir ce qu'il y a dehors, mais on a du pain sur la
planche, ici. Et comment voulez-vous aider des gens dont on ne sait rien ?
Tris
réfléchit en se mordant la joue.
—
Bonne question, avoue-t-elle.
Ma
montre indique quinze heures. Je me suis déjà trop attardé — assez pour
éveiller les soupçons d'Evelyn. Je lui ai raconté que j'allais voir Tris pour
rompre et que je n'en aurais pas pour longtemps. Je ne suis pas certain qu'elle
m'ait cru.
—
Écoutez, dis-je. Je suis venu vous prévenir qu'ils vont commencer à juger les
prisonniers. Ils vont vous injecter du sérum de vérité, et si vous parlez, vous
serez condamnées pour trahison.
—
Pour trahison ? gronde Tris. En quoi le fait d'avoir montré la vidéo
d'Edith est un acte de trahison ?
—
Cé'tait un acte de désobéissance vis-à-vis de nos leaders. Evelyn et ses
partisans ne veulent pas quitter la ville. Il ne risquent pas de vous remercier
d'avoir montré cette vidéo.
—
Il ne valent pas mieux que Jeanine ! s'indigne Tris en donnant un coup de poing
dans le vide. Prêts à tout pour étouffer la vérité ! Et tout ça pour quoi ?
Pour être les rois de leur petit monde minable ! Quelle absurdité !
Je
ne le dirais jamais tout haut, mais dans un sens, je suis d'accord avec ma
mère. Divergent ou non, je ne dois rien à ceux du dehors. Je ne suis pas sûr de
vouloir leur faire don de ma personne pour résoudre les problèmes de
l'humanité, quoi qu'on entende par là.
En
revanche, tout mon être exige de partir, furieusement, rageusement, avec le
même sentiment de nécessité qu'un animal pris au piège et prêt à se ronger la
patte pour se libérer.
—
Quoi qu'il en soit, déclaré-je prudemment, si le sérum de vérité marche sur
vous, vous serez condamnées.
—
Comment ça, si le sérum marche sur nous ? relève Cara.
—
Divergente, lui rappelle Tris en se tapotant la tête.
—
Ah, d'accord. C'est vrai que tu es plutôt atypique, observe Cara en remettant
en place une mèche de cheveux. E règle générale, les Divergents ne sont pas
plus immunisés que les autres contre le sérum de vérité. Je me demande ce qui
te rend différente...
—
Tu n'es pas la seule, réplique sèchement Tris. Tous les Érudits qui m'ont
planté une aiguille dans le cou se sont posé la question.
—
On peut se concentrer sur le problème actuel ? les coupé-je. Je préférerais ne
pas être obligé de vous faire évader.
Je
tends la main vers Tris en quête de réconfort et elle me presse les doigts. Là
d'où l'on vient tous les deux, on ne se touche pas à la légère. Du coup, chaque
contact entre nous prend de l'importance et se charge d'énergie et
d'apaisement.
—
OK, on arrête, me dit-elle, radoucie. C'est quoi, ton idée ?
—
Je vais essayer de convaincre Evelyn de te faire passer en premier. Tu n'auras
plus qu'à trouver un bon mensonge à lui raconter quand on t'aura injecté le
sérum. Quelque chose qui blanchira Christina et Cara.
—
Quel genre de mensonge ?
—
Je pensais te laisser te débrouiller avec ça. Tu mens beaucoup mieux que moi.
À
l'instant où je le dis, je me rends compte que je viens de toucher un point
sensible. Elle m'a menti tant de fois ! Quand Jeannine a exigé le sacrifice
d'un Divergent, elle m'a promis de ne pas mettre sa vie en danger en se
livrant. Pendant l'attaque des Érudits, elle m'a assuré qu'elle se tiendrait à
l'écart, et je l'ai retrouvée là-bas avec mon père. Je comprends pourquoi elle
a fait tout cela, mais ça n'empêche qu'elle a trahi ma confiance.
Elle
regarde ses chaussures.
—
Ouais. OK. Je trouverai un truc.
—
Je vais tâcher de persuader Evelyn de hâter la procédure.
—
Merci.
J'éprouve
une violente envie, désormais familière, de m'arracher à mon enveloppe
corporelle pour parler directement à son esprit. Et je me rends compte que
c'est ce même élan qui me donne envie de l'embrasser dès que je la vois, parce
que le plus petit espace entre nous me rend fou. Nos mains s'étreignent. Sa
paume est moite de sueur, la mienne rugueuse à force de m'agripper à des trains
en marche. Ses yeux me font penser à de vastes ciels, comme je n'en ai jamais
vu en dehors de mes rêves.
—
Si vous comptez vous embrasser, merci de prévenir, que j'aie le temps de
regarder ailleurs, nous lance Christina.
—
Considère-toi comme prévenue, lui répond Tris.
Et
on s'embrasse.
Une
main sur sa joue pour prolonger notre baiser, je garde ma bouche sur la sienne
pour sentir chaque point de contact entre nos lèvres quand elles se séparent et
se retrouvent. Je savoure l'air que nous partageons la seconde d'après et la
caresse de son nez qui glisse le long du mien. Je ravale les mots qui me
brûlent les lèvres, parce qu'ils sont trop intimes. Mais à la réflexion, ça
m'est égal.
—
C'est dommage qu'on ne puisse pas être un peu seuls, dis-je en sortant de la
cellule à reculons.
—
Je me dis ça tout le temps, répond-elle en souriant.
Et
je referme la porte sur l'image de Christina en train de faire semblant de
vomir, de Cara qui rit, et de Tris laissant retomber ses bras le long de son
corps.
[...]
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