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28 décembre 2013

Au bonheur des ogres - Daniel Pennac (Extrait)

Résumé :
Côté famille, maman s'est tirée une fois de plus en m'abandonnant les mômes, et le Petit s'est mis à rêver d'ogres Noël. 
Côté cœur, tante Julia a été séduite par ma nature de bouc (de bouc émissaire).
Côté boulot, la première bombe a explosé au rayon des jouets, cinq minutes après mon passage. La deuxième, quinze jours plus tard, au rayon des pull, sous mes yeux. Comme j'étais là aussi pour l'explosion de la troisième, ils m'ont tous soupçonné.
Pourquoi moi ?
Je dois avoir un don...




Extrait : Au bonheur des ogres
Daniel Pennac


1

La voix féminine tombe du haut-parleur, légère et prometteuse comme un voile de mariée.
- Monsieur Malaussène est demandé au bureau des Réclamations.
Une voix de brune, tout à fait comme si les photos de Hamilton se mettaient à parler. Pourtant, je perçois un léger sourire derrière le brouillard de Miss Hamilton. Pas tendre du tout, le sourire. Bon, j'y vais. J'arriverai peut-être la semaine prochaine. Nous sommes un 24 décembre, il est seize heures quinze, le Magazin est bourré. Une foule épaisse de clients écrasés de cadeaux obstrue les allées. Un glacier qui s'écoule imperceptiblement, dans une sombre nervosité. Sourires crispés, sueur luisante, injures sourdes, regards haineux, hurlements terrifiés des enfants happés par des pères Noël hydrophiles. 
- N'aie pas peur, chéri, c'est le Père Noël !
Flashes.
En fait de Père Noël, j'en vois un, moi, gigantesque et translucide, qui dresse au-dessus de cette cohue figée sa formidable silhouette d'anthropophage. Il a une bouche cerise. Il a une barbe blanche. Il a un bon sourire. Des jambes d'enfants lui sortent par les commissures des lèvres. C'est le dernier dessin du Petit, hier, à l'école. Gueule de la maîtresse : « Vous trouvez normal de dessiner un Père Noël pareil, un enfant de cet âge ? » « Et le Père Noël, j'ai répondu, vous le trouvez tout à fait normal, lui ? » J'ai pris le Petit dans mes bras, il était bouillant de fièvre. Il avait si chaud que ses lunettes en étaient embuées. Ça le faisait loucher encore davantage.
- Monsieur Malaussène est demandé au bureau des Réclamations.
M. Malaussène a entendu, bordel ! Il est même au pied de l'escalator central. Et il s'y serait déjà engagé s'il n'était cloué sur place par la gueule noire d'un canon rayé. Parce que c'est moi qu'il vise, le salaud, pas d'erreur possible. La tourelle a tourné sur son axe, s'est immobilisée dans ma direction, puis le canon a levé le nez jusqu'à me fixer entre les deux yeux. Tourelle et canon appartiennent à un char AMX 30, télécommandé par un vieillard d'un mètre quarante qui manipule l'engin à distance, en poussant des petits gloussements émerveillés. C'est un des innombrables petits vieux de Théo. Réellement très petit, absolument vieux, repérable à cette blouse grise dont Théo les affuble pour ne pas les perdre de vue.
- Pour la dernière fois, grand-père, remettez ce jouet à sa place !
La vendeuse gronde avec lassitude derrière le rayon des jouets. Elle a la gentille tête d'un écureuil qui aurait conservé ses noisettes dans ses joues. Le veillard crachote un refus d'enfant, son pouce sur le bouton de la mise à feu. Je claque un garde-à-vous impeccable et dis :
- L'AMX 30 est dépassé, mon Colonel, bon pour la ferraille ou l'Amérique latine.
Le petit vieux jette un regard désolé sur son joujou, puis, d'un geste résigné, me fait signe de passer. Le sourire de la vendeuse me dédie un brevet de gérontologie. Cazeneuse, le flic de l'étage, surgit du sol et ramasse le char d'un air rageur.
- Décidément, il faut toujours que tu foutes la merde, Malaussène !
- Ta gueule, Cazeneuve.
Atmosphère...
Son char envolé, le vieillard reste bras ballants. Je me laisse emporter par l'escalator, avec un certain soulagement, comme si j'espérais trouver plus d'air en altitude.
En altitude, c'est Théo, que je trouve. Cintré dans un costard flamant rose, il fait la queue, comme d'habitude, devant la cabine de photomaton. Il me sourit gentiment.
- Il y a un de tes bébés qui sème le branle au rayon des jouets, Théo.
- Tant mieux, pendant ce temps il n'ouvre pas sa blouse à la sortie des écoles.
Sourire pour sourire. Puis du coin de l'œil, Théo me désigne la cage en verre des Réclamations.
- On dirait qu'on s'occupe de toi, là-dedans.

Vous pouvez trouver ce livre auprès de votre librairie habituelle et dans toutes les FNAC.

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